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Défaillances de fournisseurs d’énergie: risques et régulation
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Bon ça y est, après moult faillites de fournisseurs outre-manche (19 ont mordus la poussière depuis août à l’heure de l’écriture de cet article), nous avons eu notre premier défaut de fournisseur en la personne (morale) d’Hydroption. Défaut d’autant plus remarqué que sa principale « victime » en est l’État et en particulier le service des achats de l’État qui avait conclu un contrat de 2,2 TWh pour 2022 et 2023 pour principalement le compte de l’Armée.

Ce redressement judiciaire plutôt remarqué a logiquement entrainé une réflexion sur la régulation du secteur de la fourniture d’énergie, dans un contexte où  les pouvoirs publics s’émouvaient déjà de la multiplication des petits fournisseurs depuis début 2020. Cet article cherche à  poser les enjeux de cette réflexion et donner quelques pistes de régulation.

 

Défaillance de fournisseur : quels risques pour les particuliers et les entreprises ?

 

Tout d’abord, en quoi le défaut d’un fournisseur impacte les consommateurs ? Lorsque votre fournisseur ferme ces portes, votre électricité/gaz ne sera pas coupée et vous pourrez toujours trouver rapidement un nouveau fournisseur par la suite.

Le problème est qu’il est probable que le prix de votre nouveau contrat soit significativement plus élevé que celui que vous aviez avec votre ancien fournisseur. Imaginez-vous avez conclu un contrat de fourniture de gaz à prix fixe en mars 2020 pour 2022 avec un prix de l’énergie de 12 euros/MWh, votre fournisseur fait faillite en novembre 2021 alors que les prix de marché pour 2022 sont supérieur à 50 euros/MWh. Cela signifie pour vous une perte de 38/MWh. Bien sûr, si les prix de marché avait baissé la défaillance de votre fournisseur aurait signifié un gain pour vous. Malheureusement, les faillites de fournisseurs, dont le portefeuille est naturellement exposé aux hausses de marché, sont bien plus probables quand les prix sont à la hausse.

Sur un contrat de la taille de celui de l’État, la perte suivant la défaillance peut être très lourde. Le calcul exact est difficile, puisque l’on ne connait pas les droit ARENH et leur date de contractualisation exact, mais avec des droits ARENH sur 60% de leur consommation et une contractualisation en octobre 2020 (source Green Univers) nous devrions être à peu près à 55 millions de perte pour ce contrat annulé en octobre 2021. Du moins si tous les volumes ont été achetés en octobre 2020 (prix pour livraison en 2022 -2023 vers les 46 euros/MWh contre 109 euros/MWh en octobre 2021) et pas par clics.

Ce risque est en réalité limité pour les consommateurs bénéficiant encore du TRV électricité, puisque ce dernier contrairement aux offres à prix fixe est basé en grande partie sur un prix lissé sur 2 ans et sur l’ARENH. L’exposition des consommateurs résidentiels se limite alors à la perte de leur réduction sur le TRV, ce qui se correspond pour la plupart des ménages à quelques dizaines d’euros/an.

 

Défaillance de fournisseurs : faut-il réguler ?

Puisque le défaut des fournisseurs impacte certains consommateurs financièrement faut-il créer des régulations limitant ce risque ? Ou en d’autres termes faut-il créer des contraintes supplémentaires pour l’exercice de l’activité de fournisseur ?

Si l’on regarde ce qui se passe outre-manche, malgré les faillites en cascade, les pouvoirs publiques ne semblent pas vouloir introduire de contraintes supplémentaires pour les fournisseurs -- du moins à ma connaissance. Laissant certainement, dans un esprit très anglo-saxon, le marché faire son œuvre de sélection naturelle(à postériori).

Si l’on étudie la situation en France, le problème des défaillances de fournisseurs est une occurrence rare. En 2018, Hydroption était déjà entré en procédure de sauvegarde. Planète Oui, qui utilisait Hydroption comme accès marché, avait alors fait l’objet d’une liquidation judiciaire avant d’être repris par BCM Energy. Mais ces évènements n’ont concerné qu’un nombre réduit de consommateurs et l’impact financier en avait été limité.

Les faillites de fournisseurs d’énergie sont donc rares, surtout comparé à d’autre secteurs. Elles ne sont pas non plus très impactantes pour les consommateurs résidentiels, et cela même si on exclut l'effet du TRV, en raison des faibles volumes en jeu. En terme de montants, un ménage est bien plus exposée à la faillite d’une entreprise de construction, suite à pose d’un toit défectueux que la faillite de son fournisseur d’énergie.

Pour un gros consommateur d’énergie (entreprises ou collectivités), les enjeux financiers sont bien sûr très différents comme nous l’avons démontré. Toutefois, ces consommateurs sont généralement capables d’estimer la solidité financière de leurs fournisseurs et une sélection en amont dans le processus de consultation devrait donc diminuer le risque de contrepartie.

Occurrence faible, impact faible (particulier) ou pouvant être limité par la due diligence (entreprises et collectivités). On ne régule pas (peu) les autres entreprises commerciales, pourquoi réguler les fournisseurs d’énergie ? Et bien il y a quelques différences dans l’activité des fournisseurs d’énergie qui les rapprochent plus de l’activité des institutions financières que de celles des entreprises de construction.

Les défaillances des entreprises de construction sont généralement indépendantes les unes des autres, les raisons qui poussent une entreprise à la faillite lui étant propres (clientèle insuffisante, mauvaise gestion…). Pour les fournisseurs d’énergie, c’est un peu différent. L’ensemble des fournisseurs (du moins des fournisseurs « purs » sans capacité de production) va éprouver des contraintes de trésorerie en cas de variation brutale des prix de l’énergie. Ils vont en effet devoir augmenter les garanties déposées auprès de leur contreparties afin de pouvoir conserver ou augmenter leur couverture à terme. Les risques de pertes liées à une couverture insuffisante et l’équilibrage vont aussi augmenter significativement durant ces périodes de turbulence.

Les fournisseurs échangeant de l’électricité entre eux ou avec quelques contreparties communes (producteurs, compagnies de trading, etc.), la faillite d’un fournisseur, durant une période de volatilité des prix forte, peut entrainer des pertes sévères chez d’autres acteurs du marché. Dans le pire des cas, on peut imaginer un effet domino, comme il en existe dans le secteur bancaire, la faillite d’un fournisseur entrainant la faillite de plusieurs. Il existe donc un risque dit systémique dans le secteur de l’énergie et l’existence d’acteurs ayant une trésorerie insuffisante pour absorber les chocs de marché va naturellement amplifier ce risque.

Autre problème, le niveau d’aléa moral entre consommateur et fournisseur est plus élevé  que dans d’autres secteurs. Fournir de l’énergie est similaire à la vente d’un instrument financier très complexe, le fournisseur a le choix de couvrir cette vente ou non via des achats sur les marchés à terme et ce choix demeure largement inconnu du consommateur. Une bonne couverture est complexe, souvent coûteuse et gourmande en trésorerie. Les fournisseurs ont normalement une incitation à se couvrir, malgré ces difficultés, afin de sécurisé leur marge commerciale et donc leur survie à long terme, ce qui est aligné avec l’intérêt du consommateur (qui va pouvoir payer son énergie au prix attendu).

Toutefois, certains fournisseurs peuvent avoir une inclinaison à ne pas se couvrir, faisant ainsi un pari sur une baisse des prix de marché et proposant des offres de fourniture moins chères que celles de leurs concurrents. Si le prix spot s’avère réellement moins cher durant la période fourniture, c’est une situation fréquente,  le fournisseur fait en effet des bénéfices exceptionnels, bien au-dessus des marges plutôt réduites du secteur. Les fournisseurs ne se couvrant pas étant capables de proposer des prix de fourniture plus attractifs, ils vont être capable d’acquérir plus de consommateurs aux dépens de ceux qui se couvrent. Les fournisseurs qui se couvrent, auront donc une incitation à ne plus se couvrir à leur tour ou à quitter le marché car non compétitifs. Laissant in fine sur le marché plus que les acteurs « à risque » ne se couvrant pas (« The Market for Lemons » cela vous dit quelque chose ? ).

Quand on combine ces deux spécificités (risques systémique et aléa moral), on comprend que les faillites en cascade du Royaume-Uni ne sont pas une exception mais une faille potentielle dans le système lui-même.   

 

Comment réguler ?

Si on part du postulat qu’il faut réguler comment réguler efficacement ? Les pouvoirs publics oscillant souvent entre l’inaction et l’usine à gaz, nous allons essayer de défricher le champ des possibles.

Il existe déjà bien sûr un dispositif légal permettant de filtrer les entreprises désirant vendre de l’énergie, c’est l’objectif de l'autorisation de fourniture attribuée par la DGEC. Une certaine sélection, en terme de solidité financière, des aspirants fournisseurs est d'ailleurs déjà effectuée dans ce cadre. Malheureusement, ce type de filtre ex-ante est pratiquement inefficace, même si les conditions devaient en être durcies. Tout simplement parce qu’une fois l’autorisation obtenue, le fournisseur peut faire ce qu’il veut. Un fournisseur avec des capitaux propres de 1 million d’euros est robuste s’il ne vend que 50 GWh/an par contre s’il vend 1 TWh/an cela est largement insuffisant. De plus, des conditions minimales trop élevées excluront de fait les nouvelles entreprises innovantes qui ont besoin de l’autorisation de fourniture pour effectuer leur structuration financière (levées de fonds, emprunts, etc.).

Une approche plus efficace pourrait être d’appliquer des contraintes financières et une surveillance aux fournisseurs durant l’exercice de leur activité. On peut imaginer par exemple que la CRE suive le hedge ratio (taux de couverture) des fournisseurs à une certaine fréquence et impose un minimum (mettons 80%) par période de livraison.  Les courbes de charge agrégées transmises lors des guichets ARENH et les données REMIT pourraient servir à calculer un hedge ratio approximatif pour chaque fournisseur. Cela serait toutefois compliqué à mettre en œuvre techniquement, notamment car :

  • Les différents type de contrats (prix fixes, indexé, clics…) sont couverts différemment

  • Le hedge ratio n’est pas forcement simple à calculer avec certains contrats à terme (est-ce qu’une option OTM doit être comptée dans la couverture par exemple ?)

  • Il faut extraire les volumes vendus au prix spot (tarifs dynamiques…) qui n’ont pas besoin d’être couvert.

Un indicateur de solidité financière, plus simple à calculer, pourrait être, à la manière du secteur bancaire, un ratio de capitalisation minimal par MWh vendu. En s’assurant, que les fournisseurs disposent par exemple d’au moins 10 euros de capitaux par MWh d’énergie vendue (hors ventes au prix spot), on peut estimer que ceux-ci ont les ressources nécessaires pour se couvrir et absorber les chocs de trésorerie.

Enfin des mesures de régulation plus « douces » peuvent être envisagées. Au lieu de contraindre explicitement les fournisseurs, les autorités pourrait créer un « code de bonne conduite » auquel les fournisseurs se verront obliger d’adhérer dans le cadre de l’autorisation de fourniture. En créant une définition légale et claire de ce qui constitue les bonnes pratiques en terme de couverture/gestion d’une activité de fourniture, cela expose les dirigeants de fournisseurs d'énergie en défaut à des poursuites judiciaires personnelles si des manquements sont constatés. L’exposition légale, qui n’existe peu/pas actuellement, pourrait jouer un rôle dissuasif dans les prises de risques excessives.

Étant donné l‘existence, du moins en électricité, d’autres garde-fous régulatoires (ARENH, TRV…) protégeant le consommateur et de la faible fréquence des défaillances de fournisseurs en France, je serais enclin à limiter pour l’instant toute nouvelle mesure à cette dernière proposition de « régulation douce ». Qui est à la fois simple à mettre en œuvre et peut servir de socle à des régulations futures.

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