top of page
Evénements extrêmes et gestion des risques dans les contrats de fourniture d’énergie (Partie 2)
mourning-swan-4116983_1280.jpg

Source: Creative  commons

Bienvenue dans la deuxième partie de notre article consacré aux événements extrêmes et à la gestion du risque dans les contrats de fourniture d’énergie. Dans la première partie nous avons discuté les risques de prix liés à la volatilité des marchés de l’énergie, en isolation des autres risques. Nous allons à présent les considérer en concomitance avec d’autres sources potentielles de risque et plus particulièrement le risque de volume et de contrepartie.


 

Corrélation entre volume de consommation et prix de marché

 

La consommation d’énergie d’un site est toujours soumis à un certain niveau d’aléa, les variations de celles-ci ne sont pas parfaitement connus en avance. Toutefois ce n’est pas l’existence de cet aléa en lui-même qui génère un risque financier. 

 

Le risque, c’est qu’il existe une corrélation souvent positive entre la consommation d’une entreprise et les prix de l’énergie. Quand le volume de consommation augmente, le prix sur le spot fait de même. Pour les entreprises tertiaires, cette relation est souvent due aux variations de température. Si vos bureaux sont chauffés à l’électricité, en cas de baisse de température vous allez vous mettre à consommer plus d’électricité. Mais vous n’êtes pas seul dans ce cas, tous les bâtiments de France et de Navarre vont faire de même. La hausse de la consommation nationale entraînant une hausse des prix. 

 

Pour le gaz, cette corrélation est encore plus importante. L’usage principal du gaz naturel étant le chauffage, sa consommation est extrêmement sensible aux évolutions de température. 

 

Si vous êtes un industriel, la plus grosse partie de votre usage d’énergie n’est pas lié au chauffage mais à vos processus de production. Ceux-ci ne sont pas forcément liés à la température ou à une saison particulière. Vous consommez peut-être de manière totalement “plate”, votre consommation est connue d’avance et n’a pas une corrélation significative avec les prix de marché. Dans les exemples (vraies données de consommation anonymisées), ci-dessous vous pouvez comparer la relation entre données de consommation horaires et prix spot horaire pour un site tertiaire thermosensible et pour un industriel en 2019. 

garph 2019 tertiaire.jpg

Prix, consommation et corrélation d'un site tertiaire

garph 2019.jpg

Prix, consommation et corrélation d'un site industriel

La consommation du site tertiaire, de part sa corrélation plus forte avec les prix spot, génère donc un risque de volume plus important que celle de l’industriel.

 

Les considérations ci-dessous sont valables en “temps normal”, elles ne s’appliquent pas dans le cas des événements extrêmes. La relation entre consommation et prix n’est pas linéaire. Dans le cas d’une vague de froid, les occupants d’un bureau disposant d’un chauffage central vont se mettre à utiliser des radiateurs électriques d’appoint peu performants (appelés communément “grille-pain”) et la corrélation positive va encore s'accroître. 

 

Pire, suite à une crise économique ou à une pandémie mondiale, la consommation, normalement peu corrélée, d’un site industriel risque de diminuer brutalement suite à la diminution d’activité. Cette diminution va de pair avec une diminution globale de l’activité industrielle et un effondrement des prix sur le marché de l’énergie. Les volumes achetés en excès doivent donc être revendus à perte. La consommation d’un industriel qui n'était pas corrélée avec la consommation nationale et avec les prix de l’énergie le devient. On voit dans le graphique ci-dessus que la corrélation entre la consommation du même site industriel et du prix spot durant mars-avril devient beaucoup plus importante.

graph mars.jpg

Prix, consommation et corrélation d'un site industriel durant le confinement

C’est que l’on appelle en statistique le phénomène de “tail comovement”, des processus habituellement peu ou pas corrélés, deviennent très fortement corrélés quand ils prennent des valeurs extrêmes (queue de distribution). Si l’on doit résumer ce phénomène de façon simple, nous vivons dans un monde où statistiquement un problème n’arrive jamais seul. 


 

Prime de risque, engagement de volume et indexation au spot  

 

Chaque site, selon son activité, à une exposition différente au risque de volume. Selon le type de contrat de fourniture adopté, ce risque peut être transférer complètement ou en partie au fournisseur d’énergie. Celui-ci va en échange se voir payer des primes de risque, plus ou moins élevées et incluses dans le prix de fourniture, à la manière d’une assurance. 

 

Les petits-moyens sites peuvent généralement transférer totalement leur risque de volume aux fournisseurs. Ils bénéficient de contrats sans engagement de volume et n’ont pas à se soucier de la différence entre leur consommation prévisionnelle et leur consommation réelle, en contrepartie ils paient une prime plus élevée à leur fournisseur. Les gros sites ne bénéficient généralement pas de cette offre car cela représenterait un risque trop important pour le fournisseur. 

 

Une autre alternative est de bénéficier d’une bande de tolérance. Si la différence est inférieure à +/- 20% le consommateur ne subit pas de risque de volume, par contre une partie lui est redistribué en cas de déviation plus importante. Cela limite le risque du fournisseur en cas de déviations extrêmes. Passée la bande de tolérance, l’exposition au risque varie selon les modalités du contrat. Dans certains cas, le consommateur reçoit une pénalité forfaitaire dès qu’il dépasse la bande de tolérance, que ce dépassement cause une perte au fournisseur ou non (la déviation n’étant pas forcément corrélée avec le prix de l’énergie). Dans d’autres cas, le règlement du volume en dépassement est réalisé sur le dommage réellement reçu par le fournisseur (sur la différence entre le(s) prix de fixation et le prix spot moyen par exemple). 

 

Lorsque le choix est possible est-il avantageux de transférer le risque de volume à votre fournisseur? Cela dépend de différents facteurs et tout d’abord du montant de la prime demandée par  le fournisseur pour le transfert de toute ou partie du risque. Vu que celle-ci est généralement mélangée à d’autre composantes de son offre, il est donc conseillé de comparer la différence de prix des différentes options de transfert du risque auprès des fournisseurs (comme vous compareriez des contrats d’assurance avec différentes options de couverture). Si vous êtes féru de statistique, il est aussi possible de calculer vous même les primes de risques afin de vous donner une idée. Lorsque la pression concurrentielle est forte et que cela fait quelque années que l’on a pas vu d'événements extrêmes affectant fortement la demande (hivers froids, épidémies, crises économiques,etc.), les fournisseurs ont tendance à réduire leur primes de risques afin de gagner des parts de marchés.

 

L’autre analyse, à conduire en parallèle, est la relation que votre consommation avec les prix de marchés. Vous vous souvenez certainement que l’une des conclusion de la première partie était qu’une indexation partielle au spot était bénéfique à la fois en terme de prix et de gestion de la volatilité. 

 

Ce n’est pas forcément le cas si votre consommation a une forte corrélation positive avec les prix de marché. Les prix spot réagissent fortement aux changements de demande, en cas d’hiver froid par exemple les prix peuvent grimper rapidement à des niveaux élevés, surtout si l’offre est restreinte pour une raison ou une autre. Si votre consommation et le prix évoluent de pair, vous allez avoir une consommation supplémentaire, pas forcément prévisible, au plus mauvais moment. Votre budget énergie risque alors d’exploser durant cette période, contraignant potentiellement votre trésorerie. 

 

Présenté autrement, en présence de corrélation, votre indexation au spot peut augmenter de manière imprévue et de façon défavorable, désoptimisant votre stratégie d’achat.  Dans ce cas, il est donc conseillé d’avoir une indexation au prix spot plus limitée voire d’externaliser une partie de son risque de volume à son fournisseur quand cela est possible (et pas excessivement onéreux).

 

moyennes spot et A+1.jpg

Comparaison moyenne prix à terme A+1, prix spot et combinaison des deux : pas de corrélation

moyennes_spot_et_A+1_avec_corrélation(1

Même comparaison avec une consommation corrélée au prix spot.:

Lorsque le spot augmente de 1 euros/MWh la consommation augmente de 3%

 

Si la corrélation entre votre consommation est faible ou nulle la recommandation de la partie 1 de l’article est toujours de vigueur. Si cette corrélation est négative, car l’activité de votre site est acyclique ou que vous disposez de flexibilité (effacement, auto-production,etc.), indexer une large partie de votre consommation sur le prix spot est indiqué.

 

Il est possible d’effectuer un calcul d’optimisation, intégrant la corrélation entre prix et consommation du site, afin de définir la meilleure structuration de son contrat de fourniture en terme d’indexation.  

 

La dernière chose à considérer dans votre contrat de fourniture est que la relation entre prix et consommation de vos sites n’est certainement pas linéaire et parfois difficile à estimer surtout en cas d'événements extrêmes. Cela est particulièrement à prendre en compte lorsque vous choisissez la “granularité” de votre indexation au spot. Une indexation sur une moyenne du spot annuelle où le fournisseur “garantit” une formule linéaire (“shaping”) est moins risquée qu’une indexation directement au spot horaire.

 

Il est intéressant de simuler des scénarios d'événements extrêmes pour estimer comment votre contrat et prix de fourniture se comportent face à ces derniers et peuvent affecter votre entreprise.


 

Risque de contrepartie, le grand oublié

 

En France, contrairement à d’autres pays européens comme le Royaume-Uni, nous avons connu très peu de faillites de fournisseurs d’énergie. Pourtant, il y a peu de chances que l’on en soit épargné dans un contexte où ces derniers se multiplient. 

 

En quoi le défaut d’un fournisseur est un risque pour le consommateur? Pas d’interruption de fourniture en prévision, par contre les accords de prix en vigueur avec ce fournisseur disparaissent avec lui. Cela signifie que dans le cas où les prix sont remontés entre le moment de leur fixation et la date du défaut vous devrez conclure  un nouveau contrat à un prix plus élevé avec un autre fournisseur. Les fruits de votre stratégie d’achat vous sont donc dérobés. 

 

Ce risque est d’autant plus important, que le défaut du fournisseur, à une forte chance d’être relié à un mouvement important des prix de marché (un problème n’arrivant jamais seul). On retrouve encore une fois une corrélation et une amplification des risques liés à un événement extrême.

 

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, éliminer les plus petits fournisseurs de sa liste de consultation n’élimine pas le risque de défaut. La crise du COVID-19 a montré la vulnérabilité financière des grands énergéticiens européens dont la trésorerie a été affaiblie par des années de prix bas sur les marchés de gros, des marges faibles dans le détail et dont le ratio d’endettement est élevé. Un ou plusieurs de ces fournisseurs pourraient se résoudre à ne pas honorer leurs contrats.  

 

Pour les plus gros consommateurs, il est conseillé d’avoir plusieurs fournisseurs à la fois. Cela permet de diminuer le risque associé au défaut d’une contrepartie. Pour les plus petits, cette solution est généralement trop complexe. 

 

Il vaut alors mieux prendre des précautions ex-ante, notamment en étant bien au fait des clauses de résiliation, de solvabilité et d’imprévision présentes dans votre contrat de fourniture. On peut aussi s’assurer lorsque que l’on a conclu un contrat avec la filiale française d’un grand groupe international que la maison-mère garantit les contrats de sa société fille.

bottom of page