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La libéralisation a-t-elle bénéficié aux consommateurs d’énergie?
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Source: Creative  commons

Bon, cette fois je m’attaque à un gros morceau. A une question complexe, qui m’a souvent été posée et à laquelle je me dérobe habituellement. Est-ce que la libéralisation du secteur de l’énergie a été bénéfique pour les consommateurs d’énergie français? 

 

C’est une question qui a connu récemment un regain d’intérêt important. En ces temps de crise, avec des prix de marchés historiquement bas, certains acteurs de marché se remémorent avec de plus en plus d’affection les temps bénis où leurs revenus étaient garantis et se plaisent donc à relancer le débat.

 

Pour la petite histoire, c’est en 1999, cela fait maintenant plus de 20 ans, que la France a entamé un processus conduisant à la libéralisation de son secteur de l’énergie, suite à la publication par la commission européenne du 1ier Paquet Énergie. Ce processus a débuté par la création d’un marché de gros et l’ouverture partiel du marché de détail aux consommateurs industriels. Le marché de détail ne s’ouvrira finalement à tous les consommateurs qu’en 2007. Le marché de gros est devenu progressivement plus sophistiqué, de nouveaux mécanismes s’ajoutant année après année.

 

A la fin des années 90, la motivation derrière la libéralisation était claire, l’ouverture du secteur de l'énergie à  la concurrence devait mener à une baisse des prix de l’énergie, bénéfique pour l’ensemble des consommateurs européens. Depuis, ce bénéfice est souvent remis en question, non seulement par les représentants des anciens monopoles (on peut s’y attendre) mais aussi par certains consommateurs d’énergie ne voyant pas les économies attendues se concrétiser. 

 

Avant de rentrer dans le vif de cet article, un avertissement toutefois. Je ne suis pas une source impartiale. Mon gagne-pain, depuis que j’ai rejoins le monde du travail, a toujours tourné autour du marché de l'électricité. Ma principale compétence est de pouvoir (vaguement) comprendre la complexité de ce marché et de pouvoir l’expliquer à d’autres simplement (presque). Si demain, le secteur de l’énergie était nationalisé de nouveau, ma principale source de revenus s'évaporerait et mes perspectives professionnelles seraient fortement réduites, je n’ai aucun intérêt à que cela arrive et cela peut biaiser mon analyse. 

 

Mais malheureusement, je ne connais personne qui soit un minimum au fait des questions du secteur et n’ait pas un conflit d'intérêt sous le coude. L’expert indépendant, dans tout ce qui touche les affaires économiques, est un mythe. Vous allez donc  devoir vous contenter d’une analyse potentiellement biaisée. 


 

Quelques remarques sur l’évaluation des politiques publiques

 

L’évaluation des politiques publiques, quelque soit le secteur est un exercice incertain. Faisons un petit test sur vos connaissance en la matière. Le graphique ci-dessous indique-t-il que la libéralisation du secteur de l'électricité a eu un impact positif ou négatif sur le prix final de l’électricité pour les ménages? 

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Evolution annuelle des prix TTC de l'électricité pour les ménages, 2005-2016  Source:  INSEE

La bonne réponse est qu’il n’indique rien. Déjà, j’ai fais exprès de choisir une période en particulier pour vous induire en erreur. Si on dézoome un peu, on se rend vite compte que des variations beaucoup plus fortes de prix ont eu lieu avant la libéralisation (suite aux pics pétroliers, au financement et à l’amortissement du parc nucléaire, etc.). 

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Evolution annuelle des prix TTC de l'électricité pour les ménages, 1960-2016  Source:  INSEE

 

Mais en réalité, ce second graphique ne nous aide pas plus. Pour répondre à la question posée, il aurait fallu comparer l’évolution des prix suite à la libéralisation avec les prix qui auraient été en vigueur si la libéralisation n’avait pas eu lieu. Ainsi on aurait pu mesurer précisément au bout d’un certain nombre d’années, l’efficacité ou non de l’ouverture à la concurrence. Malheureusement, nous ne pouvons pas connaître ces prix avec précision, car la libéralisation a eu lieu. De plus, pour compliquer encore un peu les choses, la libéralisation a eu lieu par étapes, il n’y a pas vraiment un avant et un après bien définis.    

 

Vous commencez à vous rendre compte que l’évaluation de toute politique publique, qu’elle conduise à une plus grande ou plus faible intervention de l’Etat, est un exercice très complexe car l’expérimentation est par nature difficile. En médecine pour s’assurer de l’efficacité ou non d’un nouveau traitement, on teste le médicaments sur un certain nombre de sujets (l’échantillon de test) et on observe les réactions de ces derniers, mais on prend garde d’observer un certain nombre de sujets à qui le traitement n’a pas été inoculé (l’échantillon témoin). En comparant les réactions de l’échantillon test et de l’échantillon témoin, on peut analyser l’efficacité du nouveau traitement de façon fiable. Il n’est pas possible de faire de même pour les politiques publiques. Libéraliser le secteur de l’énergie dans le nord de la France et laisser le Sud en monopole régulé, nous aurait peut-être permit de répondre à notre question avec plus d’assurance mais cela aurait été très difficile à mettre en pratique. 

 

Les résultats des politiques publiques sont donc difficilement vérifiables. Et lorsque ces dernières concernent des systèmes complexes, influencés par un nombre très important de variables, ils deviennent aussi en grande partie imprévisibles et sujets aux comportements chaotiques. De minuscules variations dans les caractéristiques initiales de la politique publique peut générer des variations importantes dans ses résultats par la suite (vous avez sûrement déjà entendu l’histoire du battement d’aile de papillon et de l’ouragan à l’autre bout du monde). 

 

Quels gains pour la libéralisation? 

 

Comment décide-t-on de se lancer dans une politique publique si ses résultats sont incertains et difficilement vérifiables? Et bien, on utilise les idées issues de la théorie économique, dans le meilleur des cas on mêle cela à un peu de bon sens et dans le pire à une bonne dose d'électoralisme.

Pourquoi la libéralisation du secteur devait-elle conduire à des bénéfices pour les consommateurs? Afin de ne pas rendre cet article trop académique, je ne citerai pas les économistes à l’origine des idées présentées (pas d’équations mathématiques non plus) mais je peux vous recommander des manuels d’économie de l’énergie plutôt bien fait si vous souhaitez entrer plus avant dans les détails par la suite. 

 

La première raison avancée en faveur de la libéralisation est un credo central de la théorie économique. La pression concurrentielle fait disparaître la rente qu’un monopole est en mesure de capturer. En situation de monopole et surtout dans le cas de biens ou de services dont le consommateur est captif (je suis prêt à parier que même si on double son prix vous consommerez toujours de l'électricité), une entreprise est capable de vendre à des prix bien supérieur à son coût de revient. En situation de concurrence par contre, les rentes disparaissent car de nouveaux entrants sont prêts à offrir leurs biens/services moins chers et leur prix va naturellement tendre vers le coût marginal de production. Cependant, il faut noter qu’en pratique les revenus des monopoles du secteur de l’énergie étaient régulés, les prix de vente de l’électricité étaient fixés par les pouvoirs publics qui essayaient de prévenir l’apparition de telles rentes. 

 

Le problème des monopoles régulés se situe en réalité surtout au niveau du contrôle de leurs coûts. Les revenus des monopoles régulés dépendent de leurs coûts d’investissement (capacité de production, réseau…) et de fonctionnement. Puisque les tarifs régulés sont conçus pour couvrir leur coûts plus une rémunération “acceptable”, les entreprises régulées n’ont pas d’intérêt à diminuer leur coûts. Pire, puisque leur rémunération dépend souvent de leur base d’actifs, elles auront tendance à surinvestir (capacité de production ou réseau) afin d'augmenter cette dernière et cela même si le système n’en a pas besoin, générant ainsi des sur-capacités. 

 

De même, dans un cadre régulé, un producteur n’a pas forcément intérêt à fermer une centrale non performante même si son coût de production est élevé, de vieilles centrales à charbon ou à fioul qu’ils seraient plus efficace économiquement de fermer peuvent être maintenues en activité au détriment des consommateurs et de l’environnement (pour les curieux renseignez-vous sur ce qui se passe en Chine avec les centrales charbon). C'est d'ailleurs pour cela que la mise en place d'un prix plancher pour le nucléaire historique est une mauvaise idée (voir mon article sur la nouvelle régulation du nucléaire pour plus de détails) .

 

Encore une fois les pouvoirs publics essayaient de limiter cette surestimation des coûts grâce à diverses régulations incitatives. Toutefois, ce contrôle des coûts est difficile à réaliser pour des raisons d’asymétrie d’information. Le monopole sait plus ou moins quels sont les investissements pertinents à réaliser dans les prochaines années et quels sont ses coûts de fonctionnement réels mais les pouvoirs publics l’ignorent et il est difficile de trouver des experts indépendants (cf. début de l’article) pour l’aider dans sa tâche. 

 

La pression concurrentielle est aussi un terreau propice à l’innovation et à sa diffusion. Puisque chaque entreprise est fortement incitée à réduire ses coûts afin de pouvoir concurrencer les autres, elles sont plus prônes à adopter une technologie ou un service innovant qui peuvent améliorer leur performance économique. Les acteurs sont aussi poussées à faire évoluer leur produits/services afin de se différencier de leurs concurrents. Il est par exemple fort à parier que les offres d'électricité vertes ne seraient pas apparues dans un contexte de monopole régulé. Enfin, parce que la libéralisation d’un secteur change sa structure, de tout nouveaux acteurs apparaissent, agrégateurs d’effacement, conseils en efficacité énergétique, courtiers, etc. 

 

Un autre avantage de la libéralisation est la transparence plus importante des coûts relatifs au système électrique. Un marché peut-être vu comme un moyen d’agrégation de l’information décentralisée. Un prix est la résultante des actions de milliers d’acteurs qui essayent d’optimiser leurs positions en utilisant toute l’information à leur disposition. Le prix sur une période donnée est donc la meilleure estimation possible de l’état du système et des aléas qui peuvent l’affecter. C’est un signal qui indique aux consommateurs durant quelles périodes il est optimal de consommer ou de s’effacer. De même, les producteurs n’ont pas intérêt à faire fonctionner des centrales non performantes dont le coût marginal de production est supérieur au prix. Les données de marché et de prix sont publics et accessibles à tous. Cette transparence conduisant à une meilleure allocation des ressources à diverses échéances de temps et donc in fine à un gain pour les consommateurs.

 

Même sur les segments qui n’ont pas été libéralisés, tels que les réseaux, la transparence s’est renforcée. En effet, la libéralisation a entraîné la création d’un régulateur spécialisé (la CRE) qui est chargé de veiller aux contrôle des coûts d’investissements des entreprises de réseaux et qui a petit à petit su développer une expertise de ces questions (il y a toujours de l’asymétrie d’information mais c’est quand même mieux qu’avec le Ministère de l’Economie).

 

Enfin et on rentre ici plus dans le domaine de l’économie comportementale, il existe un bénéfice “qualitatif” (hors prix) pour le bien-être du consommateur de pouvoir choisir entre différents fournisseurs même si ceux-ci propose un service identique au même prix. Imaginez que soyez en conflit avec votre fournisseur d’énergie (à propos d’une erreur de facturation, d’un SAV déficient, etc.), en monopole vous êtes coincé avec lui ad vitam eternam. Vous allez devoir ravaler votre rancoeur et continuer de payer votre facture mois après mois. La liberté de choix à donc une valeur intrinsèque.  

 

Quels sont les désavantages de  la libéralisation? 

 

Malheureusement, nos amis économistes se sont rendus compte que la libéralisation du secteur avait aussi des désavantages.

 

Le plus important fait pendant au surinvestissement en monopole régulé, en effet le marché semble conduire à un sous-investissement en capacité de production. Les prix ne délivrent pas toujours une incitation suffisante à l'investissement nécessaire au niveau de sécurité d’approvisionnement optimal, c’est-ce que l’on appelle le “missing-money”.

 

Comme nous l’avons fait remarquer les marchés sont des agrégateurs d’information et au-delà d’un certain horizon de temps l’information fiable sur l’état futur du système se fait extrêmement rare et la liquidité diminue drastiquement. Les marchés ont donc des difficultés à produire un prix sur des périodes lointaines (l’horizon maximal de marché en Europe est plus ou moins 5 ans dans le futur). Investir dans des capacités de production intensives en CAPEX (renouvelables, nucléaire,etc.)  et devant être amorties sur 15-60 ans est donc difficile dans ces conditions. Les investisseurs prêt à prendre le risque qu’une centrale de plusieurs milliards d’euros ne soit jamais rentable, car les prix au-delà de l’horizon de marché peuvent se révéler trop bas, sont rares et vont demander une rémunération du capital très élevée, impactant la faisabilité économique du projet.

 

Bien entendu, les décisionnaires publics ne disposent pas de plus d’informations sur le long-terme que les investisseurs/marchés mais comme ils ne subissent généralement pas les conséquences, financières ou autres, de leur décisions, il leur est plus facile les prendre. Dans le cas d’un secteur régulé, les risques financiers liés à un investissement de long-terme sont en effet supportés par la collectivité. 

 

Pour l’investissement et le maintien en fonctionnement des capacités de pointe, dont le CAPEX est moindre mais les coûts marginaux de production élevés, le problème tient à la rareté des prix élevés. Opérer ces capacités n’est profitable que durant les périodes où le système connaît une contrainte forte (hiver froid, indisponibilité d’une partie du parc de production,etc.) mais celles-ci sont rares et leur probabilité difficile à déterminer. Sans parler d'investissement, même les capacités déjà existantes risquent de fermer après plusieurs années de prix bas, car elles ont des coûts de fonctionnement fixes qui engendrent un cash-flow négatif. Ces centrales risquent donc d’avoir déjà mis la clé sous la porte lorsque l’on en a besoin. C’est pour cela qu’a été introduit en France et dans d’autres pays européens des marchés de capacité, générant des revenus rémunérant la disponibilité des capacités durant les pointes et non leur production effective. 

 

Nous nous retrouvons d’une part avec un surinvestissement, et donc un coût supplémentaire permanent, pour le consommateur en monopole régulé ou un sous-investissement, une diminution de la sécurité d'approvisionnement et donc un coût ponctuel important (pic de prix ou interruption de l'approvisionnement) pour le consommateur dans un secteur libéralisé, le choix est cornélien. 

 

L’autre source de surcoûts potentiellement générés par la libéralisation est la diminution des économies d’échelles due à la fragmentation de la chaîne de valeur. Les économies d'échelle désignent les situations dans lesquelles une augmentation de la taille d'une entreprise engendre une diminution du coût unitaire moyen du produit ou service qu’elle fournit. En multipliant les acteurs, logiquement on diminue ces économies d’échelles potentielles. 

 

Les économies d'échelle sont relativement insignifiantes pour l’activité d'acquisition/gestion/facturation des consommateurs (fourniture “pure”) et de toute façon les fournisseurs peuvent acquérir de  l’“échelle” en recourant à des services externes (call-centers, logiciels commerciaux, externalisation du desk de trading, partenaires commerciaux divers, etc.). Les économies d'échelles sont par contre très importantes pour l'investissement dans les réseaux. Il serait extrêmement coûteux de reconstruire un réseau électrique de zéro. C’est d’ailleurs pour cela que ces activités sont restées régulées. Pour la production, l’effet dépend beaucoup de la technologie. Les économies d’échelle sont très importantes pour le nucléaire, où seul un mastodonte (dont la solvabilité est généralement explicitement ou implicitement garantie par un Etat) à la capacité financière nécessaire à la réalisation d’un projet.   

 

Les économies d’échelles sont par contre plus faibles pour les CCGT ou les renouvelables (même exposés au marché) dont la taille, la complexité et donc les risques associés au développement du projet sont bien plus réduits. Il leur est aussi généralement possible de faire du “project finance”, d’attirer des investisseurs institutionnels de grande taille (fonds souverains, assureurs,etc.) et de diminuer ainsi leur coût de financement. 

 

Il est assez difficile d’estimer la destruction d’économies d’échelles occasionnés par la libéralisation. Il y en a, c’est certain, mais combien je ne saurais pas dire. Si quelqu’un a des informations chiffrées sur cette question, je suis preneur. 

 

Un autre problème rencontré parfois dans les marchés de gros de l’énergie (par exemple dans le marché californien au début des années 2000), est la présence de manipulation de marché. Diverses stratégies peuvent être mise en oeuvre, souvent par les producteurs, afin d’augmenter artificiellement le niveau des prix (rétention de capacité,etc.) au détriments des consommateurs. Cependant, peu de cas de manipulations importantes ont été relevés par les régulateurs européens. 

 

Un regard à l'échantillon témoin

 

L’échantillon témoin n’existe pas mais on peut essayer de l’imaginer. Comment aurait évolué la facture d'électricité en absence de libéralisation durant ces dernières années?
 

Commençons par le plus facile, qui est toujours réglementé, les réseaux. Pour les sites avec un raccordement <36 kVa, le TURPE a augmenté d’en moyenne 1,4 % sur la période 2010-2019. Cette augmentation est guidée par des besoins croissants dans l’investissement et la maintenance du réseau ainsi que par l’inflation et aurait certainement eu une ampleur comparable avec un monopole régulé. 

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Evolution annuelle du TURPE pour les sites raccordés en - de 36kVa, Source CRE

 

Une source importante d’augmentation de la facture est l’augmentation des taxes et surtout de la CSPE. Cette dernière a connu une augmentation d’en moyenne 12,6% par an entre 2003 et 2016, année où son assiette a été modifiée et son montant fixé à 22,5 euros. La CSPE finance divers mécanismes dont le développement des capacités renouvelables, qui s’est fait principalement “hors-marché” à travers des tarifs d’achat réglementés qui couvrent le coût complet de production d’une capacité. Ces investissements auraient été réalisés en situation de monopole régulé  car ils sont la résultantes d’objectifs politiques nationaux et européens. Le développement des capacités renouvelables ne bénéficiant pas d’économies d’échelle très importantes et il aurait eu un coût certainement très similaire si une politique identique avait été menée à travers un monopole régulé.

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Montant de la CSPE en euros/MWh, Source CRE

 

Il s’avère donc que les deux grands facteurs de la tendance à la hausse des prix finaux de l’électricité sur ces dix dernières années, auraient existé dans des proportions à peu près égales en cas de monopole régulé. 

 

Les prix de gros n’ont pas suivi une tendance très marquée sur la période 2006-2020. Ils ont augmenté ou baissé d’une année à l’autre en fonction de la situation économique, de la température moyenne et de la disponibilité du parc de production. Les investissements dans les capacités de production exposées au marché sur la période ont été faibles (à part quelques CCGT et l’EPR de Flamanville). Il faut cependant noter que le système était globalement en surcapacité durant la période étudiée. Cette surcapacité est dû principalement à une baisse de la demande d'électricité, par l’existence de  larges capacités de production thermiques construites par l’ancien monopole régulé et le développement des capacités renouvelables. Il n’est donc pas évident de déterminer le niveau d’investissement qui aurait été mobilisé en cas d'existence de tensions effectives dans l'équilibre offre-demande. 

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Prix de gros en Euros/MWh sur le marché spot et futures, Sources : EPEX, EEX

Note le prix spot moyen 2020 est calculé du 1er janvier au 10 avril

 

Il difficile de quantifier ce qui serait passé en termes d’investissement en situation de monopole mais il est à peu près certain que plus de capacités de production auraient été construites (même en situation de surcapacité). Il est fort à parier que d’autres EPR seraient en ce moment en construction en plus de celui de Flamanville, car comme expliqué précédemment les monopoles régulés sont enclins à l’investissement. 

 

Autre point difficile, est-qu’une tarification basée sur le coût complet de production (pratiquée en monopole régulé) est plus avantageux que le prix de marché, qui est plus ou moins représentatif du coût marginal moyen de production du système européen? 

 

En France, la réponse est généralement oui, car le coût moyen de production est largement déterminé par celui du parc nucléaire amorti qui représente la grande majorité du parc de production et qui a un coût complet de production d’environ 42 euros/MWh (à quelques brouettes près). La centrale dont le coût marginal fixe le prix sur les marchés de gros européen est généralement une centrale à gaz ou à charbon dont le coût de production est un peu plus élevé (se reporter au prix spot moyen sur le graphique plus haut). C’est là qu’intervient le mécanisme ARENH qui à partir de 2011 a redistribué cet “avantage nucléaire” aux consommateurs français (du moins tant que le plafond de 100 TWh n’était pas atteint), qui avaient financé la construction du parc nucléaire. 

 

Pour la partie commercialisation, les coûts liés à la gestion de la clientèle (SAV, facturation,etc.) et à la marge commerciales auraient été sans doute été plus importants. Les économies d'échelles dans ce segment étant faibles et les alternatifs étant capables de fonctionner à moindre coût grâce à la pression compétitive. L’acteur historique malgré certains efforts d’économies a toujours des coûts de commercialisation plus importants que ces compétiteurs (12 euro/MWh pour les - 36 kVa contre environ 6-7 euros/MWh pour les alternatifs). Cependant, ils ne concernent qu’une fraction assez faible de la facture (environ 7%), ce qui conduit à des économies relativement limitées pour les consommateurs finaux .

 

Cet article à une conclusion difficile à écrire. En effet, nous avons vu que dès le premier paragraphe qu’un avis “catégorique” était impossible à émettre si l’on est un minimum de bonne foi. Au vu des éléments explorés dans les paragraphes suivants, la libéralisation a un bilan économique mitigé, les bénéfices économiques positifs ont sans doute été beaucoup moins importants qu’initialement espérés (ou en tout cas plus difficiles à observer). 

 

Alors vous allez me dire si on considère l’ARENH, le TURPE, les taxes, le mécanisme de capacité, les tarifs d’achat,etc. votre libéralisation elle a quand même des gros morceaux de régulation dedans. Et bien vous avez entièrement raison… Nous sommes en réalité dans un régime hybride entre régulation et marché assez complexe, ces derniers se complétant ou se mettant des bâtons dans les roues selon les situations.   

 

Si on est un peu optimiste des changements technologiques pourraient venir améliorer le bilan de la libéralisation du secteur dans le futur. La libéralisation du secteur des télécoms a par exemple été un succès suite à la diffusion du mobile, qui a totalement modifié la structure des économies d’échelles du secteur. Un phénomène similaire pourrait avoir lieu avec le développement massif de capacités de production et de flexibilités décentralisées (autoconsommation, effacement, stockage, etc.). Mais c’est encore pour l’instant du domaine de la prospective.

 

Du coup, est-ce que l’échantillon de test (la France) est utile pour estimer les bénéfices/inconvénient de la libéralisation et peut être généralisé à d’autres pays qui considèrent réformer leur secteur de l’énergie? Et bien non, des différences dans la structure initiale du secteur, du mix de production, de l’environnement réglementaire  pourrait mener à des résultats très différents de l’exemple français étudié ici. Il n’y a donc aucune conclusion à tirer de cet article mais au moins vous arrêterez de me demander mon avis sur cette question. 

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