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Prix négatifs d'où viennent-ils, quels sont leurs réseaux?
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Source: Creative  commons

Alors que vous vous étiez un peu habitué aux prix négatifs sur les marchés de l'électricité, voici qu’à votre plus grande horreur ils se multiplient et que leur ombre s'étend sur d’autres marchés. 

 

Il y a en effet quelque chose de viscéralement dérangeant avec les prix négatifs. Il semble logique de payer un prix positif pour un bien. A la limite, on peut accepter d’être payé pour renoncer à sa consommation (effacement). Mais être payer pour consommer? Alors que l’on nous répète à longueur de journée que les ressources sont rares et doivent être économisées (“l'énergie est notre avenir, économisons-la”), cela semble être une erreur, un moment d’égarement dans la marche de l’économie.

 

Mais les prix négatifs sont-ils réellement des anomalies? Les dysfonctionnements d’un marché rendu fou? C’est ce que nous allons explorer tout au long de cet article. 

 

Prix négatifs: du bien au déchet

 

Un prix négatif naît lorsque que l’offre dans un marché est supérieure à la demande. L’existence d’un tel surplus est la combinaison de plusieurs facteurs. Tout d’abord, il doit bien sûr exister une incertitude dans le niveau futur de la demande et/ou de l’offre. 

 

Mais cela ne suffit pas, puisque cette incertitude dans la production ou la consommation existent, à différents degrés, dans tous les secteurs, il doit aussi exister des sources de contraintes dans l’offre qui empêche celle-ci de s’adapter immédiatement à l’évolution du prix. Il n’est en effet pas rationnel pour un producteur de vendre un bien à un prix inférieur à son coût de production et puisque qu’un coût de production ne peut être négatif cela signifie que des contraintes économiques, techniques ou réglementaires l’on conduit à produire à perte.  

 

Du côté de la demande, il doit aussi exister des contraintes empêchant les consommateurs d'adapter leur consommation au prix. Si des lingots d’or étaient vendus avec un prix négatif il y a de forte chances que la demande d’or augmente soudain de façon exponentielle. L’existence de cet effet prévient en réalité l’apparition de prix négatifs ex-ante, en cas de surplus, l'augmentation de la demande liée à la baisse des prix faisant disparaître rapidement le surplus, et cela généralement bien avant que le prix du bien ne touche un territoire négatif. 

 

Cette augmentation de la demande en relation avec la baisse des prix ne signifie pas forcément une augmentation de la consommation mais peut aussi indiquer la création de stock (on achète à prix bas en espérant revendre ou consommer plus tard) ou un export (on transporte le bien à un endroit où le surplus de production n’existe pas). Cette considération est importante car comme nous allons le voir les prix négatifs ne se manifestent réellement que dans les marchés où les propriétés physiques du bien tendent à rendre son stockage ou son transport difficile/coûteux. 

 

Pour récapituler, en présence d’un surplus dans la production d’un bien, lorsque que sa consommation est peu réactive au prix (un économiste dirait que son élasticité-prix est faible), son stockage et son transport limité, le prix de ce bien peut devenir négatif. Alors même que celui-ci a eu dans un récent passé une utilité, une valeur économique parfois très élevée, pour ses consommateurs, il devient un déchet dont le vendeur doit payer pour se débarrasser. 

 

Nous allons voir maintenant voir des exemples de marchés où les prix négatifs sont susceptibles d'apparaître. Pour les exemples de marchés ne concernant pas l’énergie mon expertise est plus limité, vous m’en excuserez par avance, je pense cependant qu’il est intéressant d’en avoir un bref aperçu. 


 

Pétrole   

 

On nous répète depuis la première crise pétrolière de 73 que le pétrole est rare, qu’on en a plus que pour une poignée d’années de consommation,etc. Comment le prix de cette commodité omniprésente a t-il peu atteindre - 37 dollars/baril en avril 2020?

 

L'épidémie de COVID-19 a entraîné une baisse record de la consommation mondiale de pétrole, jusqu’à -20 millions de barils par jour. Les restrictions de déplacement ont joué le rôle le plus important dans cette baisse, en effet le transport des personnes et l’aviation sont des secteurs très friand d’or noir. Si l’on ajoute à cela les difficultés initiales de l’OPEP à organiser des réductions de la production, les prix du pétrole sur les contrats court-terme se sont écroulés en avril 2020.

 

Ce sont les prix du contrat WTI (pétrole US) pour livraison mai sont devenus négatifs le lundi 20 avril. L’apparition de ces prix extrêmes est la combinaison de plusieurs facteurs. Le premier est que ce jour était le jour du “roll-over” pour les contrats futures. Les acteurs financiers et notamment les ETF ont vendus leur positions afin de ne pas avoir à prendre livraison du pétrole physiquement. Les ETF sont des fonds passifs et représentent l’instrument de prédilection des petits spéculateurs, ils sont purement financiers et passent d’un contrat futures M+1 à l’autre à la fin de chaque mois en vendant leur positions pour M+1 et achetant sur M+2 (qui va devenir le nouveau M+1 du coup). En temps normal, des traders physiques sont présents pour contrebalancer la pression baissière du “roll-over”. Ces derniers achètent et prennent livraison du M+ 1 à un prix un peu inférieur, le stockent et le vendent en M+2, espérant ainsi réaliser un arbitrage.

 

Malheureusement, comme la capacité du stockage de Cushing (point de livraison du contrat) était complètement réservée sur mai, de tels arbitrages ne pouvaient être réalisés. 

 

Le pétrole étant un liquide, il n’est normalement pas trop difficile à stocker et à transporter. Toutefois il demande une infrastructure dédiée, pipeline ou train citerne pour le transport terrestre, cargos pétroliers pour le transport maritime et cuves spéciales pour le stockage. En cas de très forts aléas comme la crise du COVID-19, ces capacités peuvent être limitées.

 

Depuis cet épisode les prix du pétrole ne sont pas redevenus négatifs et sont reparti globalement à la hausse. L'apparition de prix négatifs n’est certainement qu’un accident de parcours pour l'or noir mais cela prouve que ceux-ci peuvent apparaître partout où le stockage est contraint. 

 

Gaz 

 

Le prix du gaz naturel n’est finalement pas devenu négatif en Europe mais certains acteurs avaient peur qu’il ne le devienne cet été. Fin mai, le prix du contrat TTF pour livraison juin est passé en dessous de la barre des 2 euros/MWh. Un approvisionnement abondant combiné avec une demande déprimée par l’impact du COVID-19, un hiver 2019-20 chaud, et un remplissage rapide des stocks de gaz ayant poussés les prix à la baisse. Au final, l'utilisation des capacités de stockage ukrainiennes, habituellement boudé par les acteurs européens, a permis d’éviter les prix négatifs in extremis.  

 

Les producteurs gaziers (Norvège, Russie,etc. ) n’ont pas forcément une incitation directe à diminuer leur production si le prix court-terme passe en dessous de leur coût de production. La première raison est contractuelle, une grande partie du gaz européen est vendu à travers des contrats dont le prix est basé sur un panier d’indices de marché. La valeur d’une partie de ces indices étant supérieur aux prix court-terme (mensuel, day-ahead,etc.), le prix de vente final du producteur dans le cadre d’un contrat long-terme peut rester positif même si les prix court-termes sont négatifs ou inférieurs au coût de production.

 

 A cette incitation financière moindre s’ajoute des contraintes techniques dans la baisse de la production. En effet, même lorsqu’un puit ne produit que du gaz naturel et pas de pétrole (dans le cas d’une production duale gaz/pétrole, il faut aussi considérer le prix du pétrole), il est difficile de “redémarrer” un gisement dont on a stoppé l’exploitation, une coupure de la production pouvant impacter la production future. Dans un contexte où les prix long-terme (CAL 2021 et +)  sont restés relativement élevés, les producteurs ne sont donc pas forcément enclins à franchir ce pas.

 

Les prix du gaz sont par contre devenu épisodiquement négatifs aux US dans certaines parties du bassin Permien. Dans cette région, le gaz naturel est essentiellement un sous produit de l’exploitation des pétrole de schiste. Lors de congestions dans le réseau et de capacité de stockage restreintes, les producteurs “flare” le gaz (ils le brûlent sans l’injecter sur le réseau). Mais pour des raisons environnementales, ce “flaring” est limité au US, les producteurs n’ont d’autres choix que “d'évacuer” leur gaz sur le réseau à des prix négatifs. 

 

Il est à noter que si des prix du carbone ou des restrictions au “flaring” étaient mise en place dans tous les pays producteurs pétrole des volumes importants devraient être vendus à prix négatifs. Le flaring dans le monde représentant 145 milliards de mètre cube/an (selon l'AIE) soit plus de 3 fois l’équivalent annuel de la consommation de gaz en France.  

 

Pourquoi ces prix négatifs ou nuls (dans le cas du flaring)? Et bien le stockage de gaz est limité car il faut utiliser des cavités préexistantes (naturelles ou anciennes exploitations) afin qu’il soit rentable. Le transport et la distribution est aussi difficile, la construction d’un réseau de gazoducs international est un processus long, coûteux et risqué (coucou Nord Stream II). La liquéfaction et la regazéification du gaz naturel et son transport par voie maritime demande des infrastructures spécifiques, des vaisseaux méthaniers spécialement conçus et entraîne des pertes énergétiques (il faut refroidir le gaz à très basse température afin qu’il se liquéfie). Et enfin, comme déjà mentionné, la modulation de la production de gaz est souvent contrainte soit techniquement soit pour des raisons contractuelles. 

 

Ces contraintes technico-économiques combinées à une demande subissant différent aléas (météorologiques, macroéconomiques) entraînent fatidiquement des surplus et des déficits dans les marchés gaziers.


 

Électricité

 

L’électricité est un cas d’école, elle remplit toutes les conditions d’apparitions des prix négatifs que nous avons évoquées dans le premier paragraphe.

 

De forts aléas existent dans la production et la demande d’électricité. Il existe des contraintes techniques dans les technologies de production qui peuvent empêcher la production d’être modulée en fonction des prix. La demande a une élasticité prix faible, la majorité des consommateurs ayant des prix complètement fixés à l’avance.L’électricité est extrêmement coûteuse à stocker et les capacités de stockage sont donc très limités. Elle ne peut  mais aussi à transporter sur de longue distance, les capacités d’export sont donc limitées. Autre spécificité, l’offre et la demande d’électricité doivent être équilibré (Production=Consommation) en temps réel, sinon le marché tout entier disparaît (black-out).

 

Le marché spot de l'électricité est donc un terreau fertile de prix négatifs et les derniers mois durant lesquels la consommation nationale a été impactée à la baisse par la COVID-19 ( à peu près -20% par rapport à une situation “normale”), ils se sont multipliés surtout lors des week-end où la consommation est faible. 

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Exemple de prix négatif un dimanche de mai. Euros/MWh, Source EPEX Spot

Les prix négatifs sur le marché spot day-ahead (livraison J+1) sont généralement issus de la combinaison sur quelques heures d’une demande faible, d’une production renouvelable élevée et de contraintes dans le fonctionnement des centrales thermiques. Les centrales thermiques fonctionnent à basse puissance durant la nuit quand les prix sont faibles afin d’économiser du combustible. Afin de capturer des prix plus élevés durant les pointes journalières, quand la consommation est haute, ces centrales doivent effectuer  un “ramp-up”, durant lequel leur puissance augmente progressivement sur une durée de quelques heures (la durée exacte dépend de la technologie). Les centrales thermiques vont alors fonctionner même en cas de prix négatifs sur ces heures, afin de pouvoir réaliser un profit plus tard durant les heures de prix hauts. 

 

La présence d’une production renouvelable élevée vient actuellement augmenter la probabilité de telles situations car bien que les installations hydrauliques, solaires et éoliennes aient des périodes de ramp-up négligeables (elles n’ont pas besoin de “chauffer”), elles ne sont parfois pas incitées contractuellement à s’arrêter de produire durant les périodes de prix négatifs. En effet, une partie d’entre elles sont rémunérées à travers de tarifs d'achat par MWh produit,quelque soit le prix sur le marché. Ce n’est cependant pas le cas des installations renouvelable qui bénéficient d’un complément de rémunération ou encore vendent leur énergie sur le marché. 

 

Les prix négatifs durant la crise du COVID-19 se sont multipliés car face à une demande exceptionnellement basse seules les installations dont la production est peu réactive au prix de marché (cogénérations, nucléaire et renouvelables) ont continué à produire.

 

 

Produits agricoles et alimentaires

 

Vous pouvez être confrontés aux prix négatifs même si vous ne travaillez pas dans le monde merveilleux de l’énergie. Les produits agricoles s’échangent relativement fréquemment à des prix négatifs, même si cela n’a pas lieu sur un marché organisé. Leur volume de production est soumis à des aléas météorologiques alors que leur consommation est relativement stable, ce qui peut créer des surplus de production. Puisqu’ils sont par nature des produits périssables (ils se transforment naturellement en déchet au bout d’un moment), les stocker/conserver durant une longue période est coûteux, il faut les transformer (en les congelant, cuisant, séchants,etc.) ce qui implique du transport, des processus industriels spécifiques,etc.

 

En cas de surplus, la valeur de denrées alimentaires encore parfaitement consommables peut devenir négative. En effet, les producteurs vont devoir détruire ou mettre en décharge les denrées excédentaires ce qui a un coût et correspond donc à un prix négatif. 

 

Mais cela n’a pas lieu qu’au niveau des producteurs, c’est aussi une occurrence fréquente sur le marché de détail. Les produits alimentaires qui approchent ou qui ont récemment dépassé leur date limite de consommation sont généralement encore parfaitement consommables. Le distributeur qui s’en débarrasse va encore une fois avoir un coût (lié à la collecte des ordures) et les jeter revient donc à les céder à des prix négatifs. 

 

Pourquoi ne pas céder les denrées en surplus, à bas prix ou même à prix nul (donation), plutôt que de les jeter (prix négatifs) ? Après tout, il existe pas mal de personnes dans le monde qui seraient contentes de manger d’avantage. Les coûts relatifs au transport et la distribution viennent en pratique malheureusement limiter ce type de solution. 

 

Taux d’intérêt


 

Un taux d’intérêt est le prix de l’argent sur les marchés monétaire ou obligataires pour une échéance de remboursement donnée. Les taux directeurs des banques centrales européennes et américaines s’établissent à des valeurs nulles ou négatives depuis plusieurs années maintenant et en relation d’autres taux sur les marchés monétaires ou obligataires deviennent régulièrement négatifs (taux interbancaire LIBOR, EONIA, taux d’obligation émises par des États ou de grandes entreprises, etc.).

 

Les principaux taux directeurs sont le taux de rémunération des dépôts et le taux  de refinancement. Le taux de rémunération des dépôts est l'intérêt au jour le jour auquel sont rémunérés les excédents de liquidités des banques placés auprès de la banque centrale. En Europe, il est négatif depuis 2014. 

 

Le taux de refinancement est lui le taux auquel les banques peuvent emprunter auprès de la banque centrale. Il est nul en Europe depuis 2015. Des taux directeurs négatifs sont censés pousser les banques à prêter aux entreprises et aux ménages et donc dynamiser l’investissement et la consommation. C’est donc un instrument de relance de l’économie. Ils peuvent par contre entraîner de l'inflation et une survalorisation des actifs non monétaires (actions, immobilier, bitcoin, EUA, etc.). 

 

Alors vous allez me dire les taux d’intérêt sont des bestiaux entièrement différents des marchés étudiés auparavant. Les masses monétaires ne sont pas une commodité n’ont pas à être stockées ou transportées. Les taux d’intérêt directeurs ne sont suspendus qu’aux décisions de la banque centrale.

 

Ce phénomène est à mon sens plus étrange que pour les commodités évoquées dans les paragraphes précédents. Dans tous les autres cas, les épisodes de prix négatifs sont limités temporellement et géographiquement et ont des raisons d’ordre essentiellement techniques. 

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